SOUVENIRS de Margaret Fisher
 
C’est à l’invitation de Martine que j’écris quelques mots sur mon amitié avec Ivan Wyschnegradsky à la fin des années 1970.
 
En 1976, en vue d’une visite à Paris, Charles Amirkhanian m’avait donné une lettre d’introduction destinée à Ivan. Nous nous sommes donc rencontrés dans l’appartement de ce dernier, où trônaient le piano à trois claviers et les nombreuses études chromatiques en couleur accrochées au mur. Ivan m’a montré plusieurs partitions et en a joué quelques-unes au piano pour illustrer les quarts de ton. Nous avons discuté des dessins et de la relation entre tonalité et couleur. Il a expliqué qu’il passait tout son temps à copier des passages de La Journée de l’Existence.
 
La visite avait été très enthousiasmante, mais je suis surtout repartie bouleversée par ses conditions de vie précaires. Il s’occupait alors du chat d’un ami, et je me suis dit qu’il y avait dans son placard davantage de choses pour répondre aux besoins du chat qu’à ceux de l’homme. Je ne peux toutefois qualifier son mode de vie de monacal, car son esprit actif, son énergie créatrice, son ambition et sa production donnaient à l’appartement l’aspect d’une petite fabrique artisanale.
 
Lors de ma deuxième visite, j’ai apporté des provisions de première nécessité. Ravi de me voir, Ivan m’a mis les deux mains autour du cou, en serrant assez fort pour me faire peur, même si ce fut bref. C’était ma première expérience de ce que j’avais alors imaginé être le feu russe du Modernisme qui brûlait dans son corps nerveux.
 
Je n’étais pas encore très avancée sur le plan artistique, mais venant d’une famille d’artistes, je me sentais tout à fait à l’aise dans son atelier, intéressée par sa production et passionnée par la synesthésie, la technologie et l’invention, sans oublier le yoga. À la relecture de nos lettres, j’ai dû révéler à Ivan quelque chose me concernant…
 
Nous sommes rapidement devenus amis. Ensemble, nous étions enjoués et bavards. Nos lettres représentaient une ouverture sur les questions spirituelles relatives à nos expériences passées et présentes. C’est là que j’ai pris conscience des grandes questions qui dépassaient le cadre de la musique et qu’Ivan abordait par le biais de la musique ─ son éveil spirituel à un jeune âge allait influencer son œuvre de la maturité, La Journée de l’Existence, en puisant dans le sens de l’unité de l’être, un sens trop souvent refoulé, si je comprends bien les lettres d’Ivan, ou détourné par l’adhésion au concept de l’individu unique et différencié.
 

Margaret Fisher dans "Splitting" (Scission) en 1977. Photo Marion Gray

Margaret Fisher dans « Splitting » (Scission) en 1977. Photo Marion Gray


A l’occasion d’une tournée à Paris et à Bourges avec la Real Electric Symphony, j’ai proposé à Ivan d’improviser au piano, avec l’autorisation et selon les protocoles d’usage en Californie du Nord dans les années 1970 et ce qui devait arriver arriva. Intrigué, Ivan a accepté. Ron Pellegrino, le directeur de l’ensemble, avait composé à l’aide de synthétiseurs. D’autres artistes issus de diverses disciplines faisaient également partie de ce groupe de performance impromptu. Pour notre performance au Paris American Center, nous avons convié le poète Manuel Nieto qui a récité des poèmes selon la tradition espagnole de la « declamaciòn ». Pour sa préparation, afin d’obtenir l’énergie, la concentration et l’expression dont il avait besoin, Manuel se reposait toute la journée dans une pièce silencieuse, exigeant de n’être en aucun cas dérangé. En cela, il différait radicalement d’Ivan.
 
J’ai interprété un solo de mouvement construit sur des gestes, dépouillés de leur signification littérale et assemblés de manière géométrique. Vêtue d’un tablier, d’un chapeau de feutre noir, de jambières et de genouillères, un poulet cru et plumé posé sur la main droite. Je ressemblais sans doute à un personnage hybride, entre bouchère, marionnettiste et danseuse. Tandis qu’Ivan jouait du piano, j’improvisais des mouvements basés sur les gestes. Je ne garde aucun souvenir du jeu d’Ivan, ni de mes mouvements. Je me souviens seulement de l’achat du poulet dans un magasin du quartier et de notre réunion, après le concert, dans une petite salle de l’American Center.
 
Ivan a adoré cette expérience. Il a fait un bras de fer avec chacun d’entre nous. D’apparence frêle, probablement sous-alimenté et doté d’un seul poumon, il gagnait ou égalisait pourtant à chaque affrontement. Devant le métro, Ivan et moi avons improvisé des mimiques à la Charlot, chacun d’un côté de la rue, saluant avec nos chapeaux respectifs à bout de main. J’ai appris que cette nuit-là, il n’avait pas dormi.
 
La Real Electric Symphony s’est ensuite produite sans Ivan au Festival des musiques nouvelles de Bourges, où la compositrice Frankie Man, nous a rejoints. Nous avions également ajouté un film à la représentation. Aujourd’hui, personne n’hésiterait à associer danse, cinéma et musique électronique sur scène. À l’époque, cependant, le public était resté perplexe.
 
Dans sa lettre du 13 juillet 1977, Ivan décrit son expérience exaltante avec nous à Paris comme une « divine surprise » et, malgré l’invitation de Ron à rejoindre le groupe pour la tournée suivante, il a refusé de provoquer le Destin en la réitérant.
 
Margaret Fisher
30 juin 2024
Traduction Valérie Vivancos
 
 

ÉCRITS DE WYSCHNEGRADSKY

 
Bibliographie établie par Pascale Criton
 

Ivan Wyschnegradsky, La loi de la pansonorité (1954), Genève, Contrechamps, 1996, (331p.).

 

Ivan Wyschnegradsky, Une philosophie dialectique de l’art musical (1936), Franck Jedrzejewski (ed), Paris, L’Harmattan, 2005 (203p.).

 

Ivan Wyschnegradsky, « L’ultrachromatisme et les espaces non octaviants », La Revue Musicale, n° 290-291, Paris 1972, pp. 73-130.

 

Ivan Wyschnegradsky, « Quartertonal music, its possibilities and organic sources », dans Pro Musica Quaterly, New-York, 19 octobre 1927, pp. 19-31.

 

Ivan Wyschnegradsky, Manuel d’harmonie à quarts de ton, Paris, La Sirène musicale, 1932; rééd. Paris, Max Eschig, 1980.
Traduit en anglais par N. et R. Kaplan – Editions Underwolf, USA, 2017

 

 

Ivan Wyschnegradsky, « Quelques considérations générales à propos du quatuor à cordes opus 13 », dans Compositions pour quatuor et trio à cordes d’Ivan Wyschnegradsky, livret de présentation du CD. Ed. Block, Berlin, 1990.

 

 

ÉCRITS ET ARTICLES PUBLIÉS DANS Ivan Wyschnegradsky, Libération du son, Ecrits 1916-1979

 

Textes réunis, présentés et annotés par Pascale Criton (traduction en français par Michèle Kahn), publiés fin 2013 aux Editions Symétrie (http://symetrie.com/fr/titres/liberation-du-son-ecrits-1916-1979).
 
L’ouvrage a reçu en avril 2014 le Prix des Muses, dans la catégorie Prix du Document.
 
Cet ouvrage de 528 pages, édité dans la collection Recherche, série 20-21, a été publié avec le concours du Centre national du livre, de la Fondation Francis et Mica Salabert, de la Sacem et de l’Association Ivan Wyschnegradsky. Il propose un recueil d’écrits inédits ainsi que la réédition d’articles de Ivan Wyschnegradsky, textes réunis, présentés et annotés par Pascale Criton : écrits inédits de jeunesse (1916-1920), articles inédits en français (1922-1926) établis en russe par Elena Poldiaeva d’après les originaux à la Fondation Paul Sacher et traduits en français par Michèle Kahn, auxquels se joignent des articles parus dans différentes revues françaises (1924-1971) telles que La Revue Musicale, Polyphonie, Le Ménestrel, La Revue d’Esthétique, consultables essentiellement en bibliothèques.
 
Le livre comprend de nombreuses reproductions, schémas, exemples musicaux, dessins et photographies de Ivan Wyschnegradsky, un cahier d’illustrations en couleurs de 14 pages et en annexe un catalogue des œuvres, une bibliographie, une discographie, et l’index des œuvres et des personnes. Voir www.symetrie.com ou nous contacter.
 

 
Textes inédits traduits du russe (établis par E. Poldiaeva) :

 

« La vraie métaphysique » (mai 1916).

« Sur l’art ancien et nouveau et le surart » (octobre 1916).

« Sur La Journée de Brahmâ et la synthèse de la parole et de la musique » (novembre 1916).

« Sur l’essence du Surart » (janvier-novembre 1917).

[Retour sur 1916] (janvier-février 1918).

« Une pensée irradiante » (mars 1918).

« Réflexions sur La Journée de Brahma » (juin 1918, nouveau style).

« Sur la philosophie de la joie et de la souffrance en relation avec la forme musicale » (août 1918).

[Art et cosmos] (septembre 1918).

[Si je pouvais me diviser] (novembre 1918).

[Pensées] (novembre – décembre 1918).

« De l’idéal du surhomme » (novembre – décembre 1918).

« Petite excursion dans un futur musical plus ou moins éloigné » (janvier 1919).

« La nouvelle musique » (janvier 1919).

[L’esprit, le corps, la machine] (janvier 1919).

[Réflexions sur la musique] (janvier 1919).

« La conquête de la musique en quarts de ton » (janvier 1919).

« L’orchestre en quarts de ton » (1919-1921).

« Quatre lettres de Igor Miklachevski à Ivan Wyschnegradsky”, Pétrograd, 26 novembre 1920 ; Pétrograd, 28 janvier 1924 ; Pétrograd, 7 juin 1924 ; Léningrad, 15 mars 1926.

« Quatre lettres de Youri Tiouline à Ivan Wyschnegradsky », Pétrograd, 24 novembre 1922 ; Pétrograd, 27 janvier 1923 ; Pétrograd, 1er février 1923 ; Pétrograd, 4 mai 1923.

« Une lettre de G.M. Rimski-Korsakov à Ivan Wyschnegradsky » Léningrad, 31 décembre 1962.

« Entretien avec Daniel Charles » Perspectives du XXe siècle, 21 janvier 1978, Radio-France (établi par P. Criton).

 

Inédits en français :

 

« Révolution dans la musique » (Nakanounié, Berlin, 1922) ;

« Libération du son » (Nakanounié, Berlin, 7 janvier 1923) ; réédité dans L’Académie Musicale, 2, Moscou, 1992, E. Poldiaeva (ed).

« Libération du rythme » (Nakanounié, Berlin, 18 et 25 mars 1923) ; réédité dans L’Académie Musicale, 2, Moscou, 1992, E. Poldiaeva (ed).

« Lettres de Ivan Wyschnegradsky à G.M. Rimski-Korsakov » : Paris, 13 décembre 1962 ; Paris, 23 janvier 1963 ; Paris, 6 juillet 1963 ; Paris, 22 septembre, éditées dans L’Académie Musicale, 2, Moscou, 1992, E. Poldiaeva (ed).

 

Rééditions françaises :

 

« La musique à quarts de ton » La Revue Musicale, n°1, Paris, 1924.

« Musique et pansonorité », La Revue Musicale, n° 9, Paris, 1927.

« Quelques considérations sur l’emploi des quarts de ton dans la musique », Le Monde Musical, n°6, Paris, 1927.

« La musique à quarts de ton et sa réalisation pratique », La Revue Musicale, n° 171, 1937.

« Réponse à Alois Haba », La Revue musicale, n° 180, janvier 1938.

« Étude sur l’harmonie par quartes superposées I et II, Le Ménestrel, n°15, Paris, 12 avril 1935 et Le Ménestrel, n°16, Paris, avril 1935.

« Préface à un Traité d’harmonie par quartes superposées », Polyphonie, n° 3, Paris, 1949.

« L’énigme de la musique moderne », (I) Du son à la pansonorité, La Revue d’Esthétique, Paris, janvier-mars 1949 ; (II) La pansonorité, La Revue d’Esthétique, Paris, avril-juin 1949.

« La révolution ultrachromatique », La Vie Musicale, Paris, mars 1952.

« Problèmes d’ultrachromatisme », Polyphonie, n° 9 -10, Paris, 1954.

« À propos de la musique en quarts de ton », Le Guide du concert et du disque, n° 163, sept.1957.

« Continuum électronique et suppression de l’interprète », Cahiers d’études de Radio – Télévision, Paris, avril 1958. « Les pianos de Julian Carrillo », Le Guide du Concert et du Disque, n° 218, Paris, 9 janvier 1959.

« Continu et discontinu en musique », dans Jacques Porte, Encyclopédie des Musiques Sacrées, Ed. La bergerie, T. III, Paris 1970.

 

Revue de presse


Qui connaît Ivan Wyschnegradsky (1893-1979), compositeur d’origine russe qui vécut en France de 1920 à sa mort ?
Qui sait que Pierre Boulez était – entre autres – au piano pour la création de certaines de ses œuvres, qu’il était admiré notamment de Messiaen et de Dutilleux et qu’une certain Stockhausen s’essaya aux échelles microtonales ?
Fortement influencé par Scriabine (et Busoni), il chercha, au-delà des théories de Schoenberg et de Nicolas Obouhow à créer ce qu’il appelait « un nouvel espace musical » au travers d’un « ultrachromatisme » employant des quarts de ton, voire des divisions encore plus fines.
Il écrivit ainsi nombre de compositions en quarts de ton, soit pour des pianos spécifiques à plusieurs claviers, soit, plus commodément, pour des pianos accordés différemment.
Cet ouvrage, très sérieusement fait comme souvent chez Symétrie, dirigé par Pascale Criton, réunit l’essentiel de ses écrits et correspondances, accompagné d’une superbe iconographie
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Thierry Vagne – Musique classique & Co
 
Les textes théoriques du compositeur d’origine russe Ivan Wyschnegradsky sont enfin réunis en une seule édition critique grâce au beau travail réalisé par Pascale Criton et nous permettent ainsi d’entrer au cœur même de l’espace pansonore théorisé par celui dont le travail fut soutenu par Olivier Messiaen ou encore Henri Dutilleux. Ivan Wyschnegradsky est né à la fin du XIXe siècle à Saint-Pétersbourg et émigrera en France après la révolution bolchevique, pays où il demeurera jusqu’à la fin de sa vie et où il réalisera l’essentiel de son œuvre. Il fait figure de pionnier de l’ultrachromatisme et de la musique microtonale. C’est en effet à Ivan Wyschnegradsky, mais aussi Julián Carrillo et Alois Hába, que l’on doit cet emploi de micro-intervalles, une manière de dépasser et d’aller au-delà du chromatisme selon ces théoriciens. Carrillo inventera ainsi une notation avec tiers, quarts, huitièmes et seizièmes de ton, ce qui encouragera ces musiciens à construire des instruments qui répondent à cette nouvelle approche. Wyschnegradsky élaborera en effet un piano spécial à quart de ton, premier d’une longue série d’instruments bien particuliers. 
Il apparaît vite indispensable à la lecture de cet important volume de replacer cette réflexion dans le contexte plus général du symbolisme, du futurisme et des constructivistes. Dans son introduction, Pascale Criton souligne en effet combien il restait à étudier dans le domaine de la musique ce qui a déjà été défriché dans le domaine de la peinture (de Malevitch à Kandinsky), de la danse (Diaghilev et les Ballets russes), ou de la littérature (de Biély à Mandelstam) entre la Russie et l’Europe de cette époque.
Conçu en quatre parties chronologiques, cet ouvrage, premier du genre en français, couvre l’ensemble de la création du théoricien avec, pour commencer, ses années russes, déterminantes pour son parcours futur et éclairant la gestation d’une œuvre qui sera pleinement développée à partir de son émigration en France en 1920. C’est en effet dès le début des années 20 que Wyschnegradsky soulignera dans ses écrits la nécessité d’une révolution dans la musique à laquelle il s’emploiera dés ses premiers articles, avec en 1924, un article au titre essentiel : la musique à quarts de ton. La troisième partie du livre développe justement cette microtonalité si essentielle dans la pensée du théoricien. Particulièrement instructive, cette partie montre combien Wyschnegradsky s’impliqua personnellement dans le développement de ses théories, allant même jusqu’à la controverse avec d’autres théoriciens pourtant proches de sa pensée, et notamment celle l’opposant à Alois Haba quant à la réalisation de la musique à quarts de ton au moyen de deux pianos accouplés (l’un au diapason normal, l’autre d’un quart de ton plus haut).
La quatrième partie du livre couvre la période des années 50 – si essentielles si l’on pense à la musique sérielle – jusqu’à la mort du compositeur en 1979. L’ultrachromatisme se développe ainsi au-delà du quart de ton, et s’élargit à d’autres instruments. Wyschnegradsky développe également une belle réflexion dans un article intitulé continu et discontinu en musique et où le théoricien souligne combien le XXe siècle a connu le passage de la conscience tonale (parenté acoustique des sons) à celle post-tonale, et élargit son propos à la dimension spatiale. Afin de mieux apprécier encore la portée de ce compositeur et théoricien hors du commun, on lira avec profit la dernière étude intitulée Perspectives par Pascale Criton et qui invite à évaluer le rayonnement de la pensée et de l’œuvre d’Ivan Wyschnegradsky, une œuvre dont l’importance fut très tôt appréciée par Olivier Messiaen, et à sa suite Claude Ballif, et que cet ouvrage nous invite à découvrir de bien belle manière
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Philippe-Emmanuel Krautter – Lexnews
 
Depuis plusieurs années, les éditions Symétrie ont pour mission de faire découvrir aux chercheurs et au grand public tout un pan non exploité de l’histoire de la musique. Une mission accomplie avec persévérance et qualité. C’est encore le cas avec ce gros volume d’un peu plus de 500 pages, consacré à l’émigré russe Ivan Wyschnegradsky, né à Saint-Pétersbourg en 1893, venu en France en 1920, où il vécut jusqu’à sa disparition en 1979. Dès son arrivée, il est reconnu par le milieu culturel de la Revue musicale, dans laquelle il publiera régulièrement des textes, ainsi que dans d’autres revues spécialisées, comme la Revue d’Esthétique ou Polychromie. Très tôt, il est soutenu et apprécié par Olivier Messiaen, Charles Koechlin, Claude Ballif ou Henri Dutilleux. Pierre Boulez, Yvonne Loriod, Monique Haas, pour ne citer qu’eux, le feront connaitre au concert.
Ce théoricien, qui est aussi un compositeur dont les œuvres, à la difficulté réelle, sont exécutées par des interprètes engagés, est, ainsi que l’indique la quatrième de couverture « un pionnier de l’ultrachromatisme et de la musique microtonale » et « se distingue par une proposition esthétique et théorique d’une exceptionnelle originalité, contemporaine des courants symbolistes, futuristes et constructivistes : l’espace pansonore ». On l’aura compris : cet ouvrage d’une grande complexité s’adresse avant tout à des lecteurs avertis et demande une solide formation théorique. Ils découvriront ici divers textes et articles qui s’étalent sur près de 50 ans, pour la plupart disponibles uniquement en bibliothèques jusqu’à aujourd’hui. Leur rassemblement permet une vue d’ensemble sur les choix philosophiques ou métaphysiques qui ont guidé une pensée influencée par l’héritage spirituel de Scriabine et vouée tout entière à la recherche d’une ouverture vers de nouveaux systèmes et de nouvelles logiques. Qu’en retenir pour un lecteur courant ? La plongée dans une époque en recherche de production d’un nouveau type de réalité. Comme le dit si bien Pascale Criton, compositrice et musicologue, à qui l’on doit cet ouvrage remarquablement établi et documenté, « la modernité de Wyschnegradsky serait d’avoir pressenti la puissance de la notion d’espace à distribuer en tant que principe organisateur et générateur du sonore supposant, entre virtuel et actuel, un plan de communication libéré de l’idée de modèle préexistant ». Une prémonition des futurs développements de l’informatique musicale, en quelque sorte.
L’ouvrage est enrichi de nombreuses reproductions et d’exemples musicaux, de dessins et de photographies d’Ivan Wyschnegradsky, ainsi que d’un cahier d’illustrations en couleurs qui contient notamment des études chromatiques du maitre. Comme toujours, chez cet éditeur rigoureux, un catalogue des œuvres, une bibliographie, une discographie (dans laquelle on découvre tout un univers à explorer), et deux index, des œuvres et des personnes, facilitent l’approche et permettent des recherches plus ciblées
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Jean Lacroix – La Revue Générale
 
Ivan Wyschnegradsky : un compositeur philosophe révélé par ses écrits
Personnalité incontournable du paysage musical du XXème siècle, à l’instar d’un Schoenberg ou d’un Varèse, Ivan Wyschnegradsky – né à Saint Pétersbourg en 1893 et mort à Paris en 1979 – n’a cessé de chercher à concrétiser sa vision personnelle de la musique, appelant de ses vœux le « continuum sonore ».
Il s’engage sur la voie de son compatriote Alexandre Scriabine – mort prématurément en 1915 – qu’il considérait comme le « génial prophète du Surart »; nanti d’une même ferveur mystique – il dit avoir fait à deux reprises des expériences spirituelles décisives – Wyschnegradsky travaillera sa vie durant en tant que compositeur et théoricien de la musique, penseur et philosophe du son. Sa réorganisation des fonctions harmoniques, transgressant les lois de la résonance naturelle, passe par l’élaboration de nouveaux espaces intégrant la division en quart, tiers, sixième voire douzième de ton – l’atomisme musical ou ultrachromatisme – qui débouche sur la notion de « continuum sonore ». Lié en Russie au courant constructiviste et engagé très tôt dans une réflexion sur les bases d’une nouvelle musique, Ivan Wyschnegradsky quitte son pays après la Révolution de 1917 et s’installe en 1920 à Paris où il écrira la majorité de ses œuvres musicales et théoriques.
S’intéressant à la somme de ses écrits, Pascale Criton se lance dans un travail éditorial gigantesque pour réunir, présenter et annoter, avec un soin musicologique exemplaire, les nombreux ouvrages, articles et correspondances du maître russe. Accueilli dès 1927 par les éditeurs de la Revue Musicale, Wyschnegradsky a eu l’opportunité de faire paraître un certain nombre de travaux essentiels (Musique et Pansonorité, La musique à quarts de ton et sa réalisation pratique…) qui sont ici rassemblés. Mais nombreux étaient encore les textes inédits, indispensables à la compréhension d’une pensée qui s’élabore au fil des ans. Ils proviennent en majorité du Fonds Wyschnegradsky recueilli par la Fondation Sacher – qui vient d’acquérir le piano à trois claviers en quarts de ton dont avait hérité Claude Ballif – au sein duquel Pascale Criton opère des choix en fonction des étapes fondatrices de l’oeuvre du compositeur. Concernant la correspondance du musicien russe, figurent notamment les lettres précieuses échangées avec Igor Miklachevski ou encore Gueorgui Rimski-Korsakov (le petit-fils du compositeur du Groupe des Cinq), collègue et ami avec qui Wychnegradsky reprend contact au début des années 1960, l’informant de l’état de ses travaux engagés dans la voie de l’ultrachromatisme.
Incluant plusieurs feuillets iconographiques, dont un luxueux cahier d’illustrations en couleurs, les quatre parties de ce volume d’écrits respectent le déroulement chronologique de la vie du compositeur et seront scrupuleusement présentées par Pascale Criton dans des pages d’introduction aussi denses qu’éclairantes.
Les années russes d’abord (1916-1920) sont centrées sur la composition de La journée de Brahma- (1916-17) pour récitant, orchestre et chœur ad lib., une « œuvre d’art élargie à des dimensions cosmiques ». Elle sera renommée La journée de l’existence en 1939 et créée en 1978, à Radio France, un an avant la mort du compositeur.
La seconde partie, La musique du futur (1920-1926), s’intéresse aux idées fondatrices du « philosophe de la Pansonorité » qui écrit ses premières œuvres en quarts de ton, réfléchissant déjà aux instruments capables de restituer sa musique.
La musique en quarts de ton et sa réalisation pratique, troisième partie, retrace la période 1827-1849 qui voit la réputation du compositeur s’affirmer; il est honoré de deux concerts monographiques parisiens: la soirée historique de 1945 réunit Yvonne Loriot, Yvette Grimaud, Pierre Boulez et Serge Nigg qui exécutent Cosmos sur les deux « piano-double » de Pleyel! En 1937, Wyschnégradsky fait construire par le facteur allemand August Förster Georgswalde son piano à quarts de ton qui le laisse insatisfait, appelant de ses vœux la génération des claviers électriques et la synthèse du son, sous-entendant la suppression de l’interprète. Wyschnegradsky, qui, à 74 ans, participe au stage de formation du Groupe de Recherche Musicale, pense que « seul un mécanisme est capable de dominer les masses sonores ». Il faut noter avec quelle rigueur et quelle honnêteté intellectuelle, dans ses écrits théoriques, Wyschnegradsky argumente, explicite, contextualise ses idées dans l’évolution historique du langage musical.
La dernière partie, L’ultrachromatisme, (1950-1979), est une période de reconnaissance, du moins jusqu’en 1960. Wyschnegradsky publie son ouvrage théorique phare, La loi de la pansonorité, compose ses œuvres majeures (Polyphonies spatiales pour piano, harmonium, Ondes Martenot, percussion et orchestre, Etudes sur les densités et les volumes pour 2 pianos, Arc-en-ciel pour six pianos accordés au 1/12ème de ton) et plaide pour une synthèse du continu et du discontinu: « Ainsi l’Harmonie devient Espace et l’Espace devient Harmonie » écrit-il : des propos situant son travail et ses recherches dans la sphère métaphysique vers laquelle a tendu tout son être.
Si le compositeur russe est aujourd’hui défendu sans compter – via la très active association Ivan Wyschnegradsky fondée en 1983 par Claude Ballif – par des artistes comme Martine Joste, Sylvaine Billier, Tristan Murail ou encore Bruce Mather qui ont créé la plupart de ses œuvres de maturité dans les années 80, et contribuent aujourd’hui à élargir l’aura du compositeur, l’ouvrage somme de ses écrits lève le voile sur le compositeur philosophe dont on mesure, à l’aune de ses propos, toute la ferveur et l’authenticité.

Michèle Tosi, Res Musica, 28 juillet 2014
 
Le journal de l’existence
Alors que l’infrachromatisme (usage d’intervalles plus petits que le demi-ton) est passé dans la pratique courante, l’un de ses pionniers, le fascinant Ivan Wyscnnegradsky (né en 1893 à Saint-Pétersbourg, mort en 1979 à Paris, où il s’était fixé en 1920) reste méconnu, tant comme créateur que comme théoricien. Son chef-d’œuvre, La Journée de l’existence(1917) n’a été créée qu’en 1978. S’il n’y utilise encore que les douze notes de la gamme chromatique, le texte récité en mélodrame est représentatif de la pensée philosophique qui irriguera ses compositions ultérieures. Wyschnegradsky voulait que la musique offre, à l’image de la vie et du cosmos, une continuité dont il espérait la réalisation grâce au piano accordé en quarts de tons, conçu en 1916.
Parallèlement à ses partitions exécutées de loin en loin à l’ombre de l’avant-garde post-webernienne, mais qui lui ont valu l’estime et l’amitié de Messiaen ou de Dutilleux, il a tenu un journal, publié des articles et rédigé des textes théoriques. Ces écrits méritaient d’être édités avec certaines de ses lettres, aussi bien pour leur éloquence visionnaire que pour leur dimension humaine. Compositrice et musicologue, Pascale Criton a choisi, avec l’aide d’Elena Poldiaeva, dans les archives de la Fondation Paul Sacher, des écrits (éventuellement traduits du russe par Michèle Kahn) retraçant l’évolution de la démarche intellectuelle et sensible de Wyschnegradsky. Quatre parties balisent ce parcours passionnant : les années russes (1916-1920), la musique du futur (1922-1926), la musique en quarts de tons et sa réalisation pratique (1927-1949) et 1’ullrachromatisme au-delà du quart de ton (1952-1971).
Richement illustrée, cette somme ne se lit pas comme un roman, mais stimule la curiosité : ouverte au hasard, elle offre toujours des surprises. Ainsi page 119 : « Je déteste tout ce qui est froid. Le feu est mon élément. Mais de temps à autre, j’aime me réfrigérer pour ne pas être trop effrayant. » Cela donne le ton de ce parfait idéaliste.

Gérard Condé – Diapason
 
Un Grand Russe
Saint-Pétersbourgeois né en 1893, Ivan Wyschnegradsky émigra en France en 1920 et vécut à Paris jusqu’à sa mort, en 1979. Fils spirituel de Scriabine, nourri de symbolisme et de futurisme, il composa une œuvre profondément originale, tournée vers l’ultrachromatisme, qui impressionna Dutilleux et Messiaen. Rassemblés pour la première fois, ses écrits (y compris ceux traduits du russe), dont plusieurs avaient paru dans diverses revues françaises, permettent de mesurer la dimension philosophique de son œuvre, dont le sommet est sa partition pour grand orchestre et récitant, d’abord en russe – La Journée de Brahmâ – puis remaniée en français – La Journée de l’existence – pour une recréation majestueuse à Radio France en 1979.

F.M. – Classica
 
La loi de la pansonorité (1954), Libération du son – Écrits 1916-1979
Ivan Wyschnegradsky (1893-1979), compositeur, philosophe et théoricien russe, a édifié un « système sonore » fonctionnant selon des règles, des outils de modélisation mathématiques, un réseau de concepts, du vocabulaire et des raisons d’être historiques et philosophiques qui en font un monde à part, totalement autarcique et éminemment original. Dans des perspectives très différentes, les éditions critiques réalisées par Pascale Criton – musicologue et compositrice française dont les travaux portent sur les échelles microtonales, permettent d’appréhender la syntaxe de ce nouveau langage et les utopies de son créateur.
Rédigée entre 1924 et 1944,
La loi de la pansonorité est une étude théorique en deux parties. La première retrace l’histoire de la musique depuis le haut moyen-âge, dans une perspective téléologique qui met en évidence la nécessité historique du système pansonore et le donne à voir comme « le terme supérieur qui vient clore le cycle dialectique et parachever le processus historique en lui donnant son sens » (LP p. 1Ol).
Dans le cadre d’une démarche heuristique, la seconde partie pose des concepts théoriques tels que l’ultrachromatisme et l’ultrachromatisme rythmique, envisagés comme actualisations dans l’espace pour le premier et dans le temps pour le second, de la pansonorité. Notion centrale de cet ouvrage, la pansonorité est une abstraction théorique définie par Wyschnegradsky comme « continuum sonore simultané » et comparée à un accord fictif qui comprendrait une « infinité de sons disposés à distance infiniment petite [et n’aurait] de limites ni au grave, ni à l’aigu » (LP p. 68l. Le compositeur crée non pas à partir de cet espace virtuel qui transcende la réalité acoustique mais à partir de l’espace musical physique, espace limité par un certain nombre de conventions liées à la perception humaine et à des contraintes d’ordre compositionnel et organologique. Il s’agit donc d’un système à double face : le premier absolu, idéel, transcendant; le second conçu comme dégradation dans le monde réel du premier.
La forme beaucoup plus éclatée de
Libération du son tient au fait que Pascale Criton a rassemblé des documents d’origines très disparates. C’est sous la forme d’une « vue générale et chronologique sur l’œuvre et la carrière du compositeur » que la musicologue présente les premiers écrits de Wyschnegradsky – jusqu’alors inédits en français -, des fragments du journal que le compositeur a tenu à partir de 1918, des articles tirés de revues comme La Revue musicale ou Le Ménestrel, des extraits de correspondances – entre autres avec Rimski-Korsakov -, la transcription d’un entretien de 1978 avec Daniel Charles, des photographies, plusieurs esquisses et croquis d’un système de notation synesthésique permettant la coïncidence temporelle de sensations sonores et visuelles, ensemble documentaire d’une extrême richesse qui a valu à l’ouvrage le Prix des Muses 2014 dans la catégorie Prix du Document. Chacune des quatre parties de Libération du son – Les années russes (1916-1920), La musique du futur (1920-1926), La musique en quarts de tons et sa réalisation pratique (1927-1949), L’ultrachromatisme (1950-1979) – est précédée d’une introduction dans laquelle Pascale Criton présente les différents textes, donne au lecteur des éléments de contexte musical, biographique, philosophique et organologique ou se livre à l’herméneutique de certains extraits lorsque ceux-ci sont fragmentaires ou hermétiques.
Les similitudes que présentent les deux ouvrages ne tiennent pas uniquement au fait que Wyschnegradsky ait cherché à décrire de la façon la plus minutieuse qui soit son système compositionnel. Elles renvoient aussi à la façon dont le compositeur a inscrit ses préoccupations éthiques et esthétiques dans le corps même des démonstrations. On relève en premier lieu la volonté de forger une « pensée synthétique des arts et des sciences », qui lui permet de convoquer l’acoustique ou l’arithmétique (calculs de densité, volume ou position des espaces partiels, le système ultrachromatique procédant, selon Pascale Criton, « à la façon d’une science des rapports », LP p. 30) tout autant que la philosophie (la notion de « Surart » dérive de celle, conceptualisée par Nietzsche, de « Surhomme ») ou la métaphysique.
Wyschnegradsky cherche par ailleurs à déterminer si la musique peut reposer sur des fondements objectifs autres que les rapports de fréquences naturels, si elle peut se passer de « justification extérieure d’ordre anthropologique ou acoustique » (LOS p. 183). Nombre des réflexions menées à ce sujet sont, plus d’un demi siècle plus tard, d’une troublante actualité.
Enfin, le système compositionnel pansonore a pour Wyschnegradsky l’envergure d’un projet anthropologique et social, la musique devenant « guide de la vie », vecteur de « transformation de la conscience humaine » (LP p. 104).
Malgré ces fils d’Ariane communs, les deux ouvrages ne visent pas tout-à-fait le même lectorat. Pour qui veut analyser les œuvres de Wyschnegradsky ou étudier ce qui peut s’apparenter à un traité de composition sur la musique en quarts de tons – avec tout ce qu’un traité recouvre nécessairement de démonstration théorique –
la loi de la pansonorité semble tout à fait appropriée. Ceux qui cherchent une pensée musicale originale et personnelle nourrie de réflexions religieuses, philosophiques, poétiques (sans que soient pour autant sacrifiés l’exigence conceptuelle et les raisonnements scientifiques) préféreront la Libération du son.
La rigueur avec laquelle a été édifiée cette structure et son autosuffisance tant conceptuelle que musicale sont souvent mises en avant par Pascale Criton, à juste titre. Mais précisément parce qu’aucune avant-garde ne se considère comme tributaire du passé ou des expériences de ses contemporains, ces ouvrages ouvrent des perspectives aux musicologues pour mettre les discours à l’épreuve des faits.
Le fait que Wyschnegradsky fasse volontiers référence au socialisme ou se qualifie d’ « esprit moderne authentiquement révolutionnaire » (LP p. 72) invite l’historien à travailler les rapports entre musique et politique en ce début de XXIe siècle ébranlé par les idées de subversion.
Le fait que le fondement philosophique du système pansonore repose sur des oppositions dialectiques (« processus dialectique de développement de l’idée spatiale » : « Surart » envisagé comme « logique nouvelle » permettant de subsumer les contradictions du système tonal, etc.) pourrait nourrir de passionnantes investigations sur l’influence de l’hégélianisme et du matérialisme dialectique sur les procédés compositionnels dans ces années où prévalaient le futurisme, le constructivisme et plus largement l’art engagé.
Des recherches historiographiques pourraient également s’appuyer sur les observations de Wyschnegradsky pour comprendre comment certaines époques ont pu privilégier des conceptions téléologiques de l’Histoire, où la « nécessité historique » conditionnait l’existence même de l’idée d’avant-garde.
Enfin, il pourrait être intéressant de confronter les considérations de Wyschnegradsky à celles de compositeurs comme Obouhov ou Avraamov, ce qui permettrait sans doute de relativiser le caractère précurseur de l’une ou de l’autre des théories pour redessiner une époque, un climat, des préoccupations communes et des influences réciproques.
Ainsi, ce que Wyschnegradsky nous présente comme un système étanche et clos doit désormais être confronté à la grande Histoire. Il s’agit de systématiser la démarche de Daniel Charles pour démasquer les influences non reconnues – l’idéalisme platonicien ou l’anarchisme mystique pour ne citer que les plus évidentes – et faire fructifier cette formidable synthèse réalisée par Pascale Criton sur un artiste encore trop peu considéré.

Guillemette Prévot – Dissonance n° 128, (Suisse) décembre 2014
 
Ivan Wyschnegradsky – Libération du son – Ecrits 1916-1979, textes réunis, présentés et annotés par Pascale Criton
Plus d’un siècle après sa naissance et 35 ans après sa disparition, nous avons – enfin – la possibilité de (re)découvrir un compositeur majeur du XXe siècle grâce à un important recueil de ses écrits, dont plusieurs inédits en français. Ivan Wyschnegradsky (Saint-Pétersbourg, 1893-Paris, 1979), descendant spirituel et musical de son compatriote Alexandre Scriabine (ce « génial prophète »), n’est pas encore reconnu à sa juste valeur comme pionnier inébranlable de « l’ultrachromatisme » (l’élargissement du principe « omnitonal » à des intervalles inférieurs au demi-ton), qu’il développe plus pleinement avec la notion de « pansonorité » (« une expansion musicale indéfinie »). Son originalité d’alors trouve aujourd’hui encore des échos bien présents chez de nombreux compositeurs vivants, visant un nouvel « art total ».
Nourri très jeune par la lecture à la fois de Nietzsche (dont des poèmes figurent dans son opus 1,
L’automne [1917], et son opus 3, Le soleil décline [1918], de Bergson et d’Héraclite, mais aussi des textes anciens de l’Extrême-Orient, Wyschnegradsky œuvra toute sa vie pour un art nouveau par l’élargissement de la perception, tant pour l’artiste/créateur que pour celles/ceux qui le reçoivent :
La synthèse des sensations artistiques provient, elle, du psychisme et ne connaît aucune forme établie. Elle ne connaît pas la musique, la peinture, la poésie, mais seulement le son, la couleur, la forme et le mot, et elle tisse, à partir de ces composants, un tableau d’une divine beauté, même si les aspects sonores et colorés de l’œuvre, pris séparément, ne présentent pas de valeur artistique. […] Par la suite, il se produira une nouvelle mutation d’art. On comprendra la contradiction profonde entre celui qui perçoit l’œuvre d’art et sa prosaïque posture assise, son costume. Et alors, peu à peu, le spectateur commencera à prendre part à l’art. […] En partant de la synthèse, non pas des arts, mais des sensations artistiques, nous en sommes venus à quelque chose que nous avons appelé Surart et qui doit réunir en son sein l’art, la religion, la philosophie, la société. (« Sur l’art ancien et nouveau et le surart », 1916, p.62-65)
D’emblée, nous sommes bien au-delà de la synthèse « harmonie-couleur » prônée par son idole Scriabine dans
Prométhée et approchons, quelque 50 ans plus tôt, la vision « polytopique » d’un Xenakis.
Le lendemain de la Révolution russe d’octobre 1917, le jeune compositeur quitte la Russie, moins pour des raisons politiques (en fait, il fut pour les bolcheviks, au grand désespoir de son père banquier…) que pour partir à la recherche de possibilités en Europe afin de concrétiser les moyens techniques de sa pensée musicale ; c’est-à-dire des instruments capables de produire des micro-intervalles allant jusqu’au 1/12e de ton, soit 72 notes par octave ! Déjà alors au courant des recherches menées par Ferruccio Busoni (1866-1910), Wyschnegradsky espéra trouver sur le vieux continent des solutions de lutherie, notamment un piano à multiples claviers accordés en micro-intervalles. Finalement et après moult tentatives, il ne fut jamais vraiment satisfait des résultats, raison pour laquelle la plupart de ses partitions sont disponibles en deux versions, la plus réalisable étant celle pour des pianos accordés à distance de tel ou tel micro-intervalle.
Deux expériences spirituelles, métaphysiques (en 1916 puis 1918) provoquent chez Wyschnegradsky une nouvelle réflexion qui le mène progressivement vers une conception du
continuum tant sur le plan spatial que temporel, et d’une « processualité cyclique ». Des textes théoriques de cette période (tant des inédits comme « La vraie métaphysique » (1916), « Art et cosmos » (1918), « Vers une philosophie du son » (1918-1921), que ses premiers textes publiés comme « Libération du son » et « Libération du rythme », tous deux de 1923) font penser à un autre compositeur, presque son contemporain, aussi doté d’une inspiration d’ordre spirituel et métaphysique, Giacinto Scelsi (1) (1915-1988), étonnamment grand absent de l’index des personnes de ce recueil, tout comme le compositeur grec Jani Christou (1926-1970) qui, nous semble-t-il, partage aussi certaines affinités musicales et philosophiques avec son aîné russe. Mais il n’est pas étonnant d’apprendre, au cours des commentaires éclairés de Pascale Criton, qui s’efforce d’interroger le contexte artistique dans lequel l’œuvre a été élaborée, l’amitié et l’association entre Wyschnegradsky et Nicolas Obouhow (1892-1954), autre disciple de Scriabine et compositeur russe, auteur du Traité d’harmonie tonale, atonale et totale (2), qui, lui aussi, mériterait un regain d’intérêt public (3).
Pascale Criton, compositrice (4) et musicologue, a rencontré Wyschnegradsky en 1975 et se découvre, très discrètement, dans une de ses dernières notes de bas de page :
La personnalité d’Ivan Wyschnegradsky, à la fois bienveillante et d’une étonnante originalité m’a incitée à découvrir ses propos théoriques et musicaux et leurs dimensions inconnues. Sous le choc des sonorités tournantes s’ouvrait un monde que le temps ne cesse de révéler plus qu’il ne l’épuise. (p. 473)
Opiniâtre, elle mit 10 ans pour achever ce recueil monumental en quatre grandes parties :
1) Les années russes (1916-1920);
2) La musique du futur (1920-1926);
3) La musique en quarts de ton et sa réalisation pratique (1927-1949);
4) L’ultrachromatisme.
En tout, une trentaine d’articles, plus quelques « Aphorismes » astucieusement choisis, un petit choix de correspondance (avec, entre autres, Gueorgui Rimski-Korsakov, le petit-fils du compositeur de
Shéhérazade, lui-même fondateur dès 1924 du Cercle de la musique en quarts de ton) et six longs liminaires de Criton mettant la démarche singulière de Ivan Wyschnegradsky en perspective, à la fois sur les plans biographique et géographique et surtout des courants artistiques parallèles. Outre les Cahiers de ma vie (un journal autobiographique tenu par le compositeur jusqu’en 1969), plusieurs textes parmi lesquels un Journal, cahiers 2 3, 1918-1921 dont les entrées en russe sont élégamment traduites par Michèle Kahn, proviennent d’une source unique et sous conservation, de même que l’ensemble des archives du compositeur, à savoir la Fondation Paul Sacher à Bâle.
Entre les « Introductions » de Pascale Criton, couplées à son méticuleux appareil scientifique, gageons qu’il y a autant de Criton que de Wyschnegradsky dans cet ouvrage fondamental. Le livre est richement illustré (55 illustrations parsemées dans le texte), accompagné d’un superbe cahier en couleurs, sans parler d’innombrables et précieux exemples musicaux dans le corps du texte, dont certains créés à l’initiative de l’auteure pour rendre encore plus lisibles et compréhensibles les démarches parfois très techniques du compositeur.
De plus, l’ouvrage est enrichi d’annexes très utiles et révélatrices. C’est, tout d’abord, un catalogue chronologique des œuvres, avec mention des créations lorsque disponibles. En tout 77 œuvres dont plusieurs avec multiple versions (pour faciliter leur exécution en micro-intervalles allant jusqu’aux douzièmes de ton). On découvre alors l’importance du Canada, et particulièrement de Montréal, pour la diffusion de l’œuvre de Wyschnegradsky grâce, notamment, à l’initiative de Bruce Mather qui, avec son épouse Pierrette Le Page et d’autres musiciens canadiens, a créé une dizaine de pièces. Il est également intéressant de constater que plusieurs autres compositeurs-interprètes ont participé à des créations mondiales, tant à Paris (Serge Nigg, Pierre Boulez, Tristan Murail) qu’ailleurs en Europe (Georg Friedrich Hass). L’ouvrage comprend également une bibliographie divisée en trois sections – « Ecrits de Wyschnegradsky » (sur les 38 articles cités, 37 sont repris dans cet ouvrage), « Entretiens » et « Ecrits sur Wyschnegradsky » – ainsi qu’une discographie. Des 17 parutions citées, 4 sont produites au Canada. Dommage que tous les compositeurs représentés sur certains CD ne soient pas mentionnés ! Ce qui nous laisserait présager de nouvelles affinités à puiser, comme le fabuleux CD de 1994
Hommage à Wyschnegradsky produit par la SNE (n° 589) avec aussi des œuvres de Serge Provost et de Bruce Mather. L’index des œuvres citées est fort utile pour resituer Wyschnegradsky dans son contexte culturel, celui des futuristes russes, et ses diverses influences. Une table des illustrations permet, quant à elle, de facilement retrouver les très beaux témoignages manuscrits d’Olivier Messiaen ou d’Henri Dutilleux ainsi que de beaux dessins et projets d’instruments ou de notation coloriées de la main du compositeur. L’ouvrage comprend enfin un index des personnes. Il est fâcheux que cet index ne prenne pas en compte les noms mentionnés dans les diverses annexes. Ainsi, dans une lecture attentive de chaque détail dans ces outils, on ne saura pas que des interprètes aussi prestigieux que le Quatuor Arditti ou Rohan de Saram (en tant que soliste) s’engagent à défendre cette musique. Idem pour Bruce Mather, si essentiel à la renommée de Wyschnegradsky autant en Europe qu’en Amérique du Nord, mais qui n’est cité dans cet index que pour ses occurences dans le corps du texte et non pour ses contributions à la diffusion publique de son œuvre mentionnées dans le catalogue et dans la discographie.
La parution de ce livre (après celle de
La loi de la pansonorité (5), il y a moins d’une dizaine d’années) marque, et nous l’espérons vivement, un renouvellement d’intérêt pour ce compositeur-théoricien et pour son œuvre. Lors de sa sortie en France, par exemple, ce fut le cas avec deux Journées d’étude internationales les 27-28 mars 2014 à Paris, organisées par le Centre de documentation de musique contemporaine (CDMC) en partenariat avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) et l’Association Ivan-Wyschnegradsky, consacrées à « Ivan Wyschnegradsky : L’ultrachromatisme, entre futurisme et constructivisme », avec conférences, classes de maîtres publiques, tables rondes et concerts, notamment des élèves du Conservatoire.
(1) Voir, par exemple, de Giacinto Scelsi, dans
Les anges sont ailleurs… (textes et inédits recueillis et commentés par Sharon Kanach, Arles, Actes Sud, 2006), des textes comme « Son et musique », « Evolution du rythme », « La puissance cosmique du son », « Art et connaissance », « Unité et égalité des arts ».
(2) Nicolas Obouhow (1947),
Traité d’harmonie tonale, atonale et totale, préface d’Arthur Honegger, Paris, Edition Durand.
(3) L’extraordinaire CD produit en 2010, par le pianiste américain Jay Gottlieb, des œuvres pour piano de Obouhow sur l’étiquette Sisyphe (SISYPHE010) va dans ce bon sens.
(4) Parmi de nombreuses œuvres ultrachromatiques,
Circle Process (2010), pour violon accordé en 1/16e de ton, résultat d’une proche collaboration avec la violoniste Sylvia Tarozzi, est récemment parue sur le disque Virgin Violin en juillet 2014 (i dischi di angelica, ReR Megacorp, IDA 028).
(5) Ivan Wyschnegradsky (1996), La loi de la pansonorité, Genève, Contrechamps.

Sharon Kanach – Circuit, Vol 24, n°3, Montréal (Canada), décembre 2014
 
Parmi la collection scientifique « Symétrie Recherche » des éditions Symétrie (Lyon), on trouve la Série 20–21, qui est dirigée par le musicologue Nicolas Donin et consacrée aux musiques contemporaines des années 1920 à aujourd’hui. C’est dans cette série qu’est paru, en 2013, un volume substantiel consacré aux écrits d’un pionnier de la musique micro-tonale (« ultrachromatique »), le compositeur russe Ivan Wyschnegradsky (1893–1979). Ces écrits, échelonnés de 1916 à 1979, ont été « réunis, présentés et annotés » par la musicologue et compositrice française Pascale Criton, et traduits du russe par Michèle Kahn (1). Il faut, d’emblée, souligner l’ampleur du travail accompli par Pascale Criton, qui a mis une décennie à réaliser ce livre (2). Ces 522 pages sont loin d’être noircies que des seuls textes de Wyschnegradsky : Criton a truffé ceux-ci d’un imposant appareil de notes de bas de page, chaque section du livre est précédée d’une vaste introduction, et on trouve à la fin une conclusion (« Perspectives »), dans laquelle « la portée de la pensée esthétique d’Ivan Wyschnegradsky est mise en perspective dans le champ musical des dernières décennies (3) ». Des documents — dessins, esquisses, lettres, photographies — traversent également l’ouvrage, qui s’achève par une discographie, une bibliographie et deux index (des oeuvres et des personnes).
Les textes du compositeur, présentés chronologiquement — ce qui permet de suivre comme une « intrigue » le cheminement de sa pensée —, sont regroupés en quatre parties. La première, intitulée « Les années russes », couvre les années 1916–1920, alors que Wyschnegradsky avait entre 23 et 27 ans. Ces années correspondent à une époque extrêmement mouvementée de l’histoire russe : la Révolution. Wyschnegradsky, à l’encontre de la position familiale, appuya les bolcheviks. Il paya cher le prix de cette divergence filiale sur le plan personnel, mais garda toujours une posture esthétique fort peu aristocratique, s’identifiant volontiers au travail manuel des artisans et des ouvriers. C’est également une période où Wyschnegradsky était encore un jeune homme; il y a beaucoup d’instabilité émergeant de sa quête d’identité dans ces premiers écrits (il s’agit, essentiellement, d’ébauches et de notes privées). Cette première partie du volume est elle-même divisée en quatre sous-sections. La première s’intitule « La gestation d’une oeuvre ». Ces textes sont marqués par une quête existentielle à la croisée de la philosophie, de la religion et de la métaphysique. Wyschnegradsky recherchait l’Absolu par la dissolution des contraires, utilisant comme métaphore la lumière qui transcende, en les réunissant, les diverses couleurs. Il était, en cela, très influencé par les spiritualités orientales, notamment hindoues. Ces textes permettent de suivre, d’ailleurs, la genèse d’une oeuvre fondatrice du compositeur :
La journée de Brahma (4). Il écrit également sur sa découverte de la philosophie de Bergson, avec laquelle il se sent en profonde affinité (« un grand évènement s’est produit dans ma vie intérieure, j’ai découvert la philosophie de Bergson (5) ») et dont il reparlera à la fin de sa vie. Le livre qui le captive tout particulièrement est Perception du changement (6), dont il retient surtout les idées de synthèse et de mouvement perpétuel. Par ailleurs, le contexte artistique de la Russie de cette époque était, on le sait, extrêmement ardent et innovateur. Des créations particulièrement avant-gardistes étaient réalisées en contrepoint de recherches théoriques hautement spéculatives et de quêtes métaphysiques exaltées. Toutes les utopies étaient alors permises. C’est aussi l’époque du constructivisme et du futurisme, qui préluda au dadaïsme. La démarche du poète Velimir Khlebnikov est admirablement représentative de ce Zeigeist (7), dans lequel le Wyschnegradsky de ces années s’inscrit de plain-pied. Sur le plan théorique, les travaux de Kandinsky sur l’autonomie et l’hétéronomie des arts résonnent particulièrement dans ses écrits. Or, ces préoccupations de Wyschnegradsky proviennent aussi, voire surtout, d’une filiation musicale dont il se réclame avec passion. À l’écrevisse : Scriabine, Wagner, Beethoven. Avec la Neuvième symphonie de ce dernier, Wyschnegradsky considère que la musique s’est transcendée elle-même pour la première fois. Quant à Wagner, il a fait, avec sa notion de Gesamkunstwerk (oeuvre d’art totale), un pas dans l’unification des arts, mais ceux-ci n’y sont réunis qu’à des fins narratives, théâtrales, plutôt que transcendés par un principe commun de « sensation » (Kandinsky parlait, lui, « d’âme humaine en vibration (8) »). C’est, selon Wyschnegradsky, Scriabine qui a été le plus loin dans le dépassement des différences entre les arts par la puissance de la sensation, à l’instar — pour reprendre sa métaphore — de la lumière dépassant les différences entre les couleurs. C’est ainsi que Wyschnegradsky a développé une notion qu’il appelle le Surart (terme, selon Criton, « très probablement forgé par Wyschnegradsky en référence à Nietzsche et à la figure de l’homme nouveau, du métahomme ou surhomme (9) »).
Scriabine a été le premier (mais non le dernier) créateur à vivre presque jusqu’au bout la transformation de l’art en Surart. Avec lui, la musique a parlé un langage nouveau, jamais entendu, plus nouveau même que celui de Wagner et plus novateur que celui de Wagner au regard de Beethoven. […] Il avait pleinement conscience de l’orientation que prenait l’art et qui le stimulait lui-même fortement. Il concevait la synthèse de toutes les sortes de sensations de façon plus grandiose et plus juste que Wagner, avec son aspect théâtral (10).
La deuxième sous-section, intitulée « Aphorismes », est une collection de courts énoncés littéraires à teintes philosophiques, cultivant le paradoxe et qui dévoilent combien Wyschnegradsky aspirait à l’annulation des contraires. La troisième sous-section, « Vers une philosophie du son », fait apparaitre dans les écrits du compositeur des considérations beaucoup plus techniques sur le plan de l’expression musicale. C’est ainsi qu’il amorce des recherches sur la microtonalité qui l’occuperont toute sa vie. Nous sommes dès lors en pleine investigation de territoires à peine explorés jusque-là dans la tradition occidentale. Wyschnegradsky s’intéresse tout particulièrement à deux problèmes concrets : la notation et l’exécution des micro-tons. Toutes sortes d’expériences sont tentées sur le plan de la notation, et les exemples musicaux sont souvent étonnants. Quant au problème de l’exécution, il est abordé en deux axes : les possibilités offertes par les instruments traditionnels et, dans l’objectif de dépasser les limites de ceux-ci, l’invention de nouveaux instruments. Aborder ces problèmes compositionnels sur le plan de la lutherie rapprochait, selon Wyschnegradsky, le compositeur de l’artisan et de l’ouvrier. Cette sous-section contient, en outre, des considérations harmoniques très contrastées. Par exemple, Wyschnegradsky analyse de façon symboliste et quasi mystique l’accord final de
La Journée de Brahma, dont la partie supérieure représente pour lui « le Tout », tandis que la partie inférieure représente « le Rien (11) ». Peu après, s’appuyant sur les travaux de Léonid Sabanéev (12), il analyse l’accord prométhéen de Scriabine à partir de la série des harmoniques (rangs 7 à 12, puis 13–14); de là, il fait un pas de plus et propose l’hypothèse — qui n’est pas sans anticiper les travaux de Jacques Chailley (13) — que la musique en quarts de ton consiste, au fond, en une intégration dans la composition des harmoniques supérieures (du 16e au 32e rang). Cette interrogation relative aux harmoniques naturelles reviendra dans ses recherches ultérieures. La quatrième et dernière sous-section de cette première partie, « Les années charnières », aborde surtout les possibilités de quarts de ton à l’orchestre, et les enjeux que cela pose sur le plan de l’orchestration. L’une de ses solutions favorites, celle d’accorder deux instruments à distance d’un quart de ton (14), apparait dès cette époque.
La deuxième partie du livre s’intitule « La musique du futur ». Elle couvre les années 1920–1926, alors que Wyschnegradsky était âgé de 27 à 33 ans. Sur le plan personnel, cette période est marquée par l’émigration de Wyschnegradsky en Europe de l’Ouest, où il vécut en Allemagne et, surtout, en France. Le style des textes change et devient plus didactique, avec moins de références littéraires et spirituelles. Il s’agit d’ailleurs, désormais, de textes publiés professionnellement. On y trouve trois articles fondateurs : « Libération du son » et « Libération du rythme » dans le journal
Nakanounié (Berlin), puis « La musique à quarts de ton » dans La Revue musicale (Paris). Wyschnegradsky amorce dès lors un procédé qu’il reprendra très souvent dans des textes ultérieurs : situer ses recherches historiquement en traçant — dans un esprit typique du modernisme du 20e siècle — une ligne téléologique menant jusqu’à celles-ci, présentées comme la voie de l’avenir. Il aborde, par exemple, la consonance et la dissonance au Moyen Âge à partir des intervalles « purs », non tempérés. Puis, il retrace les recherches sur la modulation qui menèrent au tempérament égal, permettant une combinatoire basée sur les douze sons qui est à la base, par exemple, du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach autant que du dodécaphonisme de la Seconde école de Vienne. Wyschnegradsky, dans ses recherches sur la micro-tonalité, ne chercha jamais à revenir aux intervalles « naturels » (non tempérés), bien qu’il se soit régulièrement référé à la série des harmoniques naturelles (15). Il aspira plutôt, par le truchement de tempéraments égaux, mais à différentes échelles, à émanciper la musique « des fers du système des douze degrés et à créer librement des oeuvres musicales nouvelles, utilisant un matériau plus riche, plus malléable (16) ». Il essaya d’appliquer cette même approche à d’autres paramètres afin d’assurer l’organicité de son langage, notamment le rythme, dont il analyse la « libération » non seulement sur un plan strictement musical, mais aussi par rapport à ses origines indissociables, dans l’expression humaine, de la parole et du geste. Notons par ailleurs que Wyschnegradsky ne contextualise pas ses travaux uniquement au regard de l’histoire de la tradition occidentale. Dans un esprit ethnomusicologique anticipant les cultural studies, il expose diverses utilisations de la micro-tonalité dans des pratiques musicales extra-occidentales. Quant à ses propres recherches, il avance dans les textes de cette période une autre de ses solutions favorites pour l’exécution des micro-tons : la machinerie musicale. Il en vient à penser, non sans radicalité, que la solution la meilleure concernant la notation des quarts de ton est de la rendre caduque en remplaçant l’interprète par la machine. Par ailleurs, ces articles sont aussi l’occasion, pour Wyschnegradsky, de résumer les expérimentations de ses contemporains en affinités plus ou moins étroites avec les siennes, notamment celles de certains futuristes (Koulbine, Matiouchine et Lourié), du pianiste Ferruccio Busoni ou encore du compositeur tchèque Alois Hába (avec qui il aura, plus tard, une polémique). Cette deuxième partie se termine par quelques extraits de correspondances illustrant le climat de recherches de l’époque, notamment avec Gueorgui Rimski-Korsakov (petitfils de Nikolaï), le président et fondateur du Cercle de la Musique en quarts de ton à Pétrograd (17).
La troisième partie s’intitule « La musique en quarts de ton et sa réalisation pratique ». Les années couvertes sont 1927–1949, alors que Wyschnegradsky avait de 34 à 56 ans. La nouveauté la plus importante pour cette période est sans doute l’introduction de la notion de Pansonorité. Avec ce concept, Wyschnegradsky revient à une certaine attitude métaphysique caractéristique de sa jeunesse, en nommant ainsi l’idéal d’une approche qui couvrirait tout « l’espace musical » en y glissant sans discontinuité (« l’idéal, c’est le continu (18) »).
Cet état de sonorité que nous allons appeler Pansonorité ou Continuum est absolument incompréhensible pour la raison humaine, à laquelle il est foncièrement étranger. La cause en est dans la structure du concept de Pansonorité qui s’élève au-dessus de l’antithèse, ce qui est contraire à la raison, pour qui le Tout et le Néant sont deux oppositions contradictoires […] (19).
Cette notion « de Pansonorité ou Continuum » amène Wyschnegradsky à beaucoup réfléchir sur la tension paradoxale du continu et du discontinu; cela n’est pas sans rejoindre les catégories de « lisse » et de « strié » chez Boulez (20), et anticipe les recherches approfondies de Michel Imberty à ce sujet (21). Sur le plan technique, on trouve dans cette partie des théories intéressantes à propos d’une conception de l’harmonie basée sur la superposition de quartes (plutôt que de tierces, comme dans le système tonal). De plus, poursuivant ses recherches sur les quarts de ton, Wyschnegradsky nomme de nouveaux intervalles en fonction des possibilités qu’offrent ceux-ci : la seconde plus que mineure, la tierce neutre, la quarte majeure ou la quinte mineure, par exemple. Cette troisième partie contient aussi quelques documents historiques : une polémique avec un autre pionnier de la micro-tonalité, Alois Hába, est reproduite, ainsi qu’une lettre de Romain Rolland démontrant combien celui-ci était sensible aux recherches de Wyschnegradsky.
La quatrième et dernière partie s’intitule « L’ultrachromatisme » et comprend des textes étalés entre 1950 et 1979, alors que Wyschnegradsky était âgé de 57 à 86 ans. À l’affut des recherches naissantes en électroacoustique, il poursuit sa réflexion sur les possibilités de remplacement de l’interprète par la machine. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à s’intéresser à l’invention de nouveaux pianos, tout particulièrement ceux de Julián Carillo (22). Wyschnegradsky revient également sur ses réflexions concernant le continu et le discontinu. On trouve à nouveau des extraits de correspondances dans lesquelles sont amicalement partagées des expériences liées à la micro-tonalité. Puis, la boucle se boucle avec la transcription d’un entretien radiophonique accordé à Daniel Charles pour Radio-France, dans le cadre de la création de son oeuvre de jeunesse
La journée de l’existence (23). Dans cet entretien, entre autres propos, Wyschnegradsky réaffirme son affinité avec la philosophie de Bergson, mais aussi celle d’Héraclite; en somme, avec l’idée de mouvement perpétuel. On notera au passage que la philosophie de Gilles Deleuze s’inscrit aussi dans cette ligne de pensée, et que ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si Pascale Criton y a aussi beaucoup travaillé, comme en témoigne un autre volume récemment paru sous sa gouverne (24).
Cette collection chronologique permet d’observer une certaine circularité dans les écrits de Wyschnegradsky. Dans la première partie du livre, il s’agissait de textes privés, rédigés alors que le compositeur était encore un jeune homme. Devant cette profusion, semblant parfois inachevée et quelque peu informe, on peut se demander s’il était souhaitable de les publier, ou d’en publier autant. Cette profusion contraste avec les deux dernières parties du livre, dans lesquelles Wyschnegradsky se répète de plus en plus (ces articles étant conçus pour être publiés isolément, des informations reviennent souvent de l’un à l’autre). Cela étant, il s’agit d’une somme d’écrits — jusque-là épars — de Wyschnegradsky, publiée dans une collection scientifique. L’approche éditoriale me paraît donc, dans ce contexte, tout à fait défendable : même si le plaisir d’une lecture traversant le livre de A à Z peut s’en trouver altéré, il s’agit d’abord et avant tout d’une somme de documents pouvant être utiles aux chercheurs. Par ailleurs, ces choix éditoriaux mettent en évidence les priorités de Wyschnegradsky (ce qui fait retour) et l’effet « entonnoir » dans l’évolution de sa pensée, qui était de plus en plus ciblée, précise et définie. Cela étant dit, il y a tout de même des éléments nouveaux significatifs qui apparaissent dans les textes de maturité.
Dans ses « Perspectives » concluant l’ouvrage, Pascale Criton mentionne l’influence notable qu’a eue Wyschnegradsky sur des compositeurs tels que Claude Ballif, Georg Friedrich Haas ou Philippe Leroux, et combien il a reçu le soutien de certains de ses illustres contemporains (Messiaen et Dutilleux, par exemple). Il faut souligner l’importance, au Québec, du rôle de Bruce Mather dans la diffusion de l’oeuvre et des recherches de Wyschnegradsky. Les « révolutions musicales » du XXe siècle sont généralement associées à l’atonalité (libre, puis dodécaphonique et sérielle) et aux nouvelles technologies électroacoustiques. Mais quid de la micro-tonalité? Cet ouvrage est sans doute une occasion de se questionner sur les conséquences, aujourd’hui, de ces recherches et de ce qu’il reste à faire, le cas échéant (25). Mais en 2016, l’actualité et la pertinence de Wyschnegradsky ne se limitent peut-être pas à la seule micro-tonalité. La radicalité de ses travaux sur la lutherie même de son expression musicale, et la dimension politique non évacuée de ce que cela peut impliquer, résonne avec l’approche DIY (26) de beaucoup de compositeurs aujourd’hui (27) et la reconsidération du supposé écart entre l’artiste et l’ouvrier que cela sous-tend, dans un état d’esprit pouvant rappeler, par exemple, la pensée d’un Jacques Rancière (28).
 
(1) Grâce au soutien du Centre national du livre, de la Fondation Francis et Mica Salabert et de l’Association Ivan-Wyschnegradsky. De nombreuses archives utilisées proviennent de la Fondation
Paul-Sacher, à Bâle, et plusieurs textes étaient jusqu’alors inédits en français.
(2) Ce travail a d’ailleurs été récompensé par les Prix des muses de la Fondation Singer-Polignac (Prix du document, 2014).
(3) p. 4.
(4) Cette oeuvre pour récitant, grand orchestre et choeur mixte ad libitum, qui deviendra plus tard La journée de l’existence, a été composée sur un texte du compositeur en 1916–1917 (remaniée en 1929–1920, puis en 1939–1940).
(5) p. 107.
(6) Bergson 1911.
(7) Voir, par exemple Cloutier 2014.
(8) Kandinsky [1911]1989, p. 112.
(9) p. 23.
(10) p. 83.
(11) p. 157–158.
(12) Compositeur russe né à Moscou en 1881 et décédé à Antibes (France) en 1968.
(13) Voir Chailley [1955]1977.
(14) À noter que Wyschnegradsky ne s’intéressa pas uniquement aux quarts de ton, allant jusqu’à travailler en douzièmes de ton.
(15) Différant en cela de la mouvance spectrale qui, plus tard, utilisa la micro-tonalité dans cette voie. Voir, par exemple Hurel 1991, p. 261–271.
(16) p. 207.
(17) p. 237.
(18) p. 278.
(19) p. 279
(20) Voir Boulez 1963.
(21) Imberty 2005.
(22) Compositeur et théoricien mexicain spécialiste de la micro-tonalité, né à Ahualulco en 1875 et décédé à Mexico en 1965.
(23) Le 21 janvier 1978, à Paris, Maison de Radio-France, par Mario Haniotis, récitant, et le Nouvel Orchestre Philharmonique sous la direction d’Alexandre Myrat.
(24) Criton et Chouvel 2015.
(25) Sur les actualités concernant Wyschnegradsky et plusieurs autres informations (journées d’études, publications, disques, etc.), voir le site de la fondation Ivan-Wyschnegradsky : https://www.ivan-wyschnegradsky.fr/fr/ [consulté le 20 septembre 2016].
(26) Do it yourself.
(27) Pour un aperçu de certaines de ces approches, voir, par exemple, Goldman (dir.) 2013.
(28) Voir, notamment, Rancière 1981.

Maxime McKinley – Intersections 35/2 (2015)
 
Références
Bergson, Henri. 1911.
La perception du changement. Oxford : Clarendon Press.
Boulez, Pierre. 1963.
Penser la musique aujourd’hui. Paris : Gonthier.
Chailley, Jacques. [1955]1977.
Traité historique d’analyse harmonique. Paris : Alphonse Leduc.
Cloutier, Geneviève. 2014.
L’avant-garde russe face à la « terreur de l’histoire » — Historiosophie et historiographie chez Velimir Khlebnikov et Pavel Filonov. Dijon : Les Presses du réel.
Criton, Pascale et Chouvel, Jean-Marc, dir. 2015.
Gilles Deleuze. La pensée-musique. Paris : Collection du CDMC, 2015.
Goldman, Jonathan, dir. 2013. « La musique des objets ».
Circuit, musiques contemporaines 23, n01.
Hurel, Philippe. 1991. « Le phénomène sonore, un modèle pour la composition ».
Le Timbre, métaphore pour la composition, sous la dir. de Jean-Baptiste Barrière, 261–271. Paris : Ircam/Christian Bourgois.
Imberty, Michel. 2005.
La musique creuse le temps — de Wagner à Boulez : musique, psychologie, psychanalyse. Paris : L’Harmattan.
Kandinsky, Vassily. [1911]1989.
Du spirituel dans l’art. Paris : Denoël.
Rancière, Jacques. 1981.
La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier. Paris : Fayard.
 
Compositeur, Maxime McKinley a étudié à Montréal avec Michel Gonneville et Isabelle Panneton avant de se perfectionner à Paris auprès de Martin Matalon et Gérard Pesson. Il a reçu le prix Opus « Compositeur de l’année » (2014), l’Opus « Article de l’année » (2015), le prix d’Europe de composition (2009), ainsi que 11 prix au Concours des jeunes compositeurs de la Fondation SOCAN (2003–2011). Ses oeuvres sont jouées régulièrement au Canada et ailleurs dans le monde, par plusieurs solistes, ensembles et orchestres renommés. Ses textes ont paru dans diverses revues, notamment Circuit, musiques contemporaines, dont il est le rédacteur en chef depuis 2016. Il a été compositeur en résidence à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de septembre 2011 à mai 2014 et a récemment terminé un projet de recherche-création portant sur la poésie de Philippe Beck à la Chaire de recherche du Canada en esthétique et poétique, avec le soutien du FRQ-SC. En 2017, ses échanges avec le compositeur Pascal Dusapin (correspondance et entretiens) ont été publiés aux Presses universitaires du Septentrion.

 

ÉCRITS SUR WYSCHNEGRADSKY

 

Parution en septembre 2019 au Canada (Montreal) d’un n° spécial de la revue CIRCUIT, dans lequel la plupart des articles fait référence à l’œuvre et la pensée d’Ivan Wyschnegradsky. Y figurent également une recension de la traduction en anglais de son Traité d’Harmonie en 1/4 de ton, réalisée et éditée par R. et N. Kaplan c/o Underwolf – ainsi qu’une critique de notre dernier CD : 4 pianos 1/4 de ton, paru au label Shiiin et qui comprend des œuvres à 4 pianos et Ondes Martenot de Ivan Wyschnegradsky et des créations d’Alain Bancquart et Alain Moëne. Voir www.revuecircuit.ca.
 


 
AGER, Klaus: « Der Ultrachromatismus Ivan Wyschnegradskys in melodischer und rhythmischer Hinsicht », in Mikrotöne I, Innsbruck, 1986, pp. 123-126.

 

ADER, Lydia : « Microtonal Storm and stress : Georgy Rimsky-Korsakov and quarter-tone music in 1920s soviet Russia », Tempo 63 (250) 27-44, Cambridge University Press, 2009.

 

ALLENDE-BLIN, Juan : « Ein Gespräch mit Ivan Wyschnegradsky », in Aleksander Skrjabin und die Skrjabinisten, Musik-Konzept, 32/33. Munich, 1983, p. 103.

 

ARRACHART, Jean-Marc : “La musique, la poésie, les mathématiques”, in Premier Cahier Ivan Wyschnegradsky (Association Ivan Wyschnegradsky), Paris, 1985, pp. 83-85.

 

BALLIF, Claude : « Idéalisme et matérialité », in La Revue Musicale, n° 290-291, Paris, 1972, p. 5.

 

BALLIF, Claude : « Ivan Wyschnegradsky : harmonie du soir », in Premier Cahier Ivan Wyschnegradsky (Association Ivan Wyschnegradsky), Paris, 1985, pp. 9-22.

 

BALLIF, Claude : « Du Grand Cluster au Micro-tonalisme », in: L’habitant du Labyrinthe, Pro Musica, 1992, pp. 99-108.

 

BANCQUART, Alain : « Imaginaire, combinatoire, Essai sur la composition en micro-intervalles », in Les Cahiers du CIREM,  n°28-29, P.U.T., Tours, 1994, p. 9.

 

BANCQUART, Alain : Musique : Habiter le temps, Lyon, Symétrie, 2003, p. 28 à 43.

 

BARTHELMES, Barbara : « Kompositionnen für Viertieltöne: Asthetische Positionen », in Mikrotöne II, Insbruck, 1988, p. 9-22.

 

BARTHELMES, Barbara : Raum und Klang. Das musikalische und theoretische Schaffen Ivan Wyschnegradskys, Hofheim, Wolke, 1995.

 

BARTHELMES, Barbara : « Musik und Religion im russischen Symbolismus », in De La Motte (ed), Musik und Religion, Laaber, 1995, pp. 139-162.

 

BAYER, Francis : De Schönberg à Cage, Essai sur la notion d’espace sonore dans la musique contemporaine, Paris, Klincksieck, 1987, pp. 113-119.

 

BROTBECK, Roman : « Die pansonoren Musikräume des Ivan Wyschnegradsky » in La Nouvelle Revue Musicale Suisse Dissonanz-Dissonance, n°30, Zürich, 1991.

 

BROTBECK, Roman : « Zwischen Differenzierung und Dissolution. Die mikrotonalen Komponisten Julian Carrillo, Harry Partch und Ivan Wyschnegradsky » (800p.), à paraître.

 

BUCCIO, Daniele : article en anglais Sur la conception de la dramaturgie chez Ivan Wyschnegradsky, revue de la Fondation Paul-Sacher (n°35).

 

CAMPBELL, Leroy B. : « Wyschnegradsky’s Quarter-toned Piano », in The Musician, 42/5, New-York, Mai 1937, p. 92.

 

CARRILLO, Julian : « Busoni, Wyschnegradsky y Haba (1961) », in Errores universales en musica y fisica musical, Seminario de cultura mexicana, Mexico 1967, pp. 55-59.

 

COFFY, Henri-Pierre : « Un musicien de l’espace », in Inter-hebdo, Paris 28 mai 1965, p. 32.

 

CONTI, Luca : Suoni di una terra incognita. Il microtonalismo in Nord America (1900-1940), Castello, Libreria Musicale Italiana, 2005.

 

CONTI, Luca : Ultracromatiche sensazioni. Il microtonalismo in Europa (1840-1940), Librerio Musicale Italiana, 2008, pp. 135-175.

 

CRITON, Pascale : « Continuum, Ultrachromatisme et Multiplicités », in La Nouvelle Revue Musicale Suisse Dissonanz-Dissonance, n°42, Zürich, 1994, pp. 4-10.

 

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GAYDEN, Lucile : Ivan Wyschnegradsky, Peters, Francfort 1973.

 

HAAS, Georg Friedrich : «  »Arc-en-ciel », op 37. Ivan Wyschnegradskys behutsame Annäherung an das Zwölfteltointervall », in Mikrotöne IV,  Munich, 1993, pp. 79-92.

 

HAAS, Georg Friedrich : « Die Verwirklichung einer Utopie: Ultrachromatik und nicht-oktavierende Tonräume » in  « Ivan Wyschnegradskys mikrotonalen Kompositionen », in Harmonie im 20. Jahrundert. Vienne, 1993, pp. 87-100.

 

JEDRZEJEWSKY, Frank : Postface à Ivan Wyschnegradsky, La loi de la pansonorité, Contrechamps, Genève, 1996, pp. 285-290.

 

JEDRZEJEWSKY, Frank : Dictionnaire des Musiques Microtonales, Paris, L’Harmattan, 2003.

 

LEROUX, Philippe : « Analyse des Intégrations op. 49, » in Premier Cahier Ivan Wyschnegradsky, Association Ivan Wyschnegradky, Paris, 1985, pp. 87-101.

 

LISCHKE, André : « Ivan Wyschnegradsky », in Guide de la musique de piano et de clavecin, Paris, Fayard, 1987, pp. 835-836.

 

MARIE, Jean-Etienne : « Wyschnegradsky », in L’homme musical, Paris, Arthaud, 1976, pp. 46-52.

 

MARIE, Jean-Etienne : « Il faut brûler en notre mémoire », in Premier Cahier Ivan Wyschnegradsky, Paris, 1985.

 

MARIE, Jean-Etienne : « Claviers déconnectés », in Les Cahiers du CIREM, n° 10-11, P.U.T., Tours, 1989.

 

MOREUX, Serge : « Ivan Wyschnegradsky ou le musicien ami des grands nombres », in Revue française de l’élite, Paris, 25 février 1948, p. 69.

 

NIGG, Serge : “Visiblement inspire par le ciel”, in Premier Cahier Ivan Wyschnegradsky, (Association Ivan Wyschnegradsky), Paris, 1985, p.136.

 

PFEIFFER, Robert : Entretiens avec Ivan Wyschnegradsky, 1977, extraits publiés sur le disque Ivan Wyschnegradsky.Musique à quarts de ton, Edition Block, Berlin, 1983 et sur le CD de La Journée de l’Existence, Ed. Shiiin 2009.

 

POLDIAEVA, Elena : « Lettres de Ivan Wyschnegradsky à Gueorgui Rimsky-Korsakov », « S toj ze veroj v buduschee », L’Académie Musicale, 2, Moscou, 1992, pp. 142-150.

 

POLDIAEVA, Elena : Ivan Wyschnegradsky. La pyramide de la vie, en russe, Moscou, 2001 (320 p.).

 

POLDIAEVA, Elena : Sammlung Ivan Wyschnegradsky, Mainz, Schott, 2004.

 

POLDIAEVA, Elena : Le cercle musical de la Russie émigrée. Piotr Souvtchinsky et ses contemporains, Quellen zur russischen Musikgeschichte, Orient und Okzident 7 ; Berlin, 2005.

 

POLDIAEVA, Elena : Le message de Nicolas Obouhow. Reconstruction d’une biographie, Paris, Van de Velde, 2006.

 

READ, Gardner : « Twentieth Centutry Microtonal Notation », Contributions to the Study of Music and Dance, 18, New-York, Greenwood Press, 1990.

 

SCHLOEZER, Boris de : La musique, Paris, Fontaine, juin 1946.

 

SCHLOEZER, Boris de : « Réflexions sur la musique en quarts de ton », in La Revue Musicale, novembre 1924, pp. 71-74.

 

VYSLOUZIL, Jiri : « Ivan Vyschnegradskij, Kapitolaze zapomenutych hudenich avangard », in : Opus Musicum I, Brno, 1969, pp. 30-40.

 

 

Dessin de Jacques Chapiro (né en 1887 à Dźvinsk, Russie, actuelle Lettonie – mort en 1972 à Paris), vers 1960 – D.R.

 
 

 

Association Ivan Wyschnegradsky - dernière mise à jour 8 novembre 2024